De mai à novembre 1793, des milliers de « sols aux balances » ont été frappés à Beaulieu ! Connaissez-vous l'histoire de l'atelier monétaire l'Alcock ?

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Sol aux Balances, 1793.

En 1769, les religieuses du prieuré de Beaulieu cèdent le droit d’eau, le bâtiment du moulin et ses dépendances à la famille Alcock. Installé en Roannais depuis plus de 20 ans, Joseph Alcock est propriétaire de la manufacture royale de boutons, civils ou militaires.

Le 14 juillet 1789, en prenant la Bastille, le peuple parisien tourne une grande page de notre Histoire, c’en est fini de l’ancien régime et de ses privilèges. Oeuvrant à la reconstitution d’une France nouvelle, l’assemblée constituante instaure le libéralisme économique et tente de résoudre la crise financière en mettant « les biens du clergé à la disposition de la Nation » pour couvrir l’émission de nouveaux billets : les assignats. Plus de 20 milliards de ce papier-monnaie est mis en circulation dans tout le pays.

Mais la valeur de l’assignant n’aspire guère confiance. Les bas de laine grossissent de pièces d’or, d’argent ou de cuivre, réflexe naturel d’une société en cuivre. La petite monnaie fait cruellement défaut : boulangers et épiciers veulent être payés en « sonnant et trébuchant ». Face à la grogne du peuple, l’Assemblée Nationale demande à la commission des monnaies d’endiguer rapidement cette pénurie.

Pour fabriquer des pièces de monnaies, il faut de la matière première. Isolé, le pays ne peut compter que sur ses propres ressources. Les mines de cuivre fournissent ce qu’elles peuvent. Afin de trouver du métal, on descend en 1791 les cloches de 30 000 paroisses pour les convertir en monnaie.

Installé en Roannais depuis plus de 20 ans, Joseph Alcock est propriétaire de la manufacture royale de boutons, unique entreprise de taille de notre région. Une centaine d’ouvriers s’y emploie à fabriquer des boutons civils ou militaires, exportés jusqu’en Italie ou en Espagne.

En décembre 1790, un décret modifie les boutons des uniformes de la Garde Nationale en y ajoutant l’inscription la Nation, la Loi et le Roi, et met à mal la production locale. Les milliers d’anciens modèles fabriqués et stockés à Roanne sont inutilisables. Le préjudice est énorme pour Alcock ; ses ateliers du moulin de Beaulieu et de la rue des Planches à Roanne (actuelle rue Brison) sont en sommeil.

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Illustration de l'atelier monétaire d'Alcock, par Martellange, Initiatives 42153, 1980.

Pour relancer l’activité de la fabrique, Alcock saisit en 1791 l’opportunité qu’offre la fabrication de la monnaie en métal de cloche. Grâce à un outillage important et un personnel qualifié, il déclare pouvoir fournir à un prix plus bas qu’aucun autre entrepreneur une très grande qualité de flans (rondelles de métal) à l’Hôtel des monnaies de Lyon où elles doivent être frappées, s’il dispose de la matière première suffisante.

En décembre 1791 la manufacture de boutons devient une immense fonderie qui utilise le charbon de terre stéphanois. Les cloches des églises des districts de Lyon, Villefranche, Grenoble ou Valence sont conduites chez Alcock. Au bronze trop cassant des cloches, on ajoute du cuivre pur provenant des mines de Saint-Bel près de Lyon.

Jusqu’en novembre 1792, 48 801 livres (environ 25 tonnes) de rondelles d’alliage sont expédiées à l’Hôtel qui leur donne par la frappe une valeur de 3, 6, 12 deniers ou autre menue monnaie.

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Sols aux balances, 1793.

L’argent est ensuite réparti en échange d’assignats entre les différents districts fournisseurs de la matière première. Malgré le renfort d’ateliers monétaires provisoires (Besançon, Clermont, Dijon, Arras...), les besoins du peuple ne sont pas satisfaits. Les officiers municipaux éprouvent une grande difficulté à faire descendre les cloches des églises.Alcock s’en plaint : il pourrait produire plus. En avril 1792, l’Assemblée Nationale autorise en urgence les villes pouvant fournir 60 000 flans d’alliage par semaine à « frapper monnaie », évitant ainsi le coût du transport à l’Hôtel des monnaies. Le député Du Marais défend le dossier de Roanne à l’Assemblée et obtient l’accord de la commission des monnaies. Deux moutons (sortes de pilon) sont installés au moulin de Beaulieu. Sous la conduite d’un contrôleur monétaire, Poullain-Maisonville, le graveur Pierre Gonneau et cinq employés s’occupent de la fabrication.

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Frappe au mouton

En janvier 1793, on attend toujours les matrices servant à donner l’empreinte. Gabet, directeur de l’Hôtel des monnaies de Lyon, refuse de donner la même marque d’atelier que Dijon (le D et un point) de façon à ne pas les confondre et séparer les responsabilités en cas de malfaçon. Paris tranche en donnant à Riorges le D et deux points. On reçoit les matrices (27 de tête, 24 de pile) le 26 février.

Les premières pièces de 12 deniers et de deux sols sortent des ateliers de Beaulieu avec l’effigie de Louis XVI, pourtant monté sur l’échafaud le 21 janvier : certains députés protestent que l’on frappe encore des monnaies à l’effigie du « tyran ». La Convention offre donc une nouvelle empreinte aux monnaies de cuivre et de métal de cloches le 26 avril. La constitutionnelle avec l’effigie du roi et le faisceau surmonté du bonnet de la liberté est remplacée par la républicaine, qui représente la table des lois et la balance. Après la fermeture de l’atelier de Dijon, on attribue finalement à Riorges le D. de sa lointaine cousine. De mai à novembre 1793, des milliers de « sols aux balances » sont frappés à Beaulieu. L’activité bat son plein dès le mois d’août, quand Lyon est assiégée par les Montagnards et ne bat plus monnaie.

Mais alors que la patrie est en danger et que la terreur s’installe fin 1793, le pays a besoin d’armes et de canons. Le métal des cloches est envoyé au Creusot pour y être transformé en bouches à feux (canons). Par ailleurs Joseph Alcock meurt le 18 novembre 1793. C’est la fin de l’activité monétaire à Riorges.